Corruption et arbitraire aux frontières de la Cedeao
 

Dakar, 22 avril 2002: Passer les frontières africaines est un calvaire. Pour voyager par la route d'Accra à Cotonou il faut plutôt avoir les poches pleines. Et surtout ne parlez pas de Cedeao aux douaniers et aux policiers.

"L'intégration africaine a encore du chemin à faire". La réflexion est d'un juriste ivoirien face aux tracasseries policières qui jalonnent les deux heures de route entre Accra et Lomé. Tout pour douter qu'on est citoyen d'un pays membres de la Cedeao circulant dans cette Afrique de l'Ouest qu'on dit être un espace commun.

Arrivée à la frontière ghanéenne, deux poteaux géants traversés par une barre transversale indiquent qu'on passe de "l'autre côté". Peint en bleu, avec au milieu une étoile noire, le tableau signale "Bye-bye Ghana". En face, une autre structure à la même géométrie, mais peinte en marron, vous souhaite la "Bienvenue au Togo". On pense à un travail organisé et bien réglementé entre les deux postes de police et de douane qui se font face. Mais ici tout n'est en place que pour mieux réglementer la corruption.
Dès Accra, le voyageur est averti. "A la frontière, on va vous demander de l'argent, mais il faudra négocier". C'est d'abord l'agent ghanéen qui exige 5 000 cedis (500 F Cfa). La requête est notée sur un bout de papier ("5000 pour moi") qu'on vous tend. Car il s'agit, pour lui, de ne pas se faire entendre par son chef qui estampille les passeports de l'autre côté. Mais l'oeil soupçonneux de ce dernier, devant les lenteurs de procédure, décourage l'agent dans sa quête.

"Bienvenue au Togo"

Côté togolais, le manège continue. Mais là cela fait partie du système. Une pratique si ancrée que l'anecdote qu'on raconte au pays du général Eyadema est celle d'un vieil illettré qui voulait passer la frontière, muni de toutes les pièces nécessaires. De guerre lasse et voulant profiter de son illétrisme, l'agent lui demande... son certificat de décès. Ne sachant pas à quoi renvoie "certificat de décès" et se désolant de ne pas en posséder, la vieille personne s'entend asséner : "Alors, il faut donner 1000 francs."
Ces 1000 francs Cfa (ou 10 000 cédis), c'est sans vergogne ni complexe que les agents de la police d'immigration togolaise vous les demandent. D'abord pour passer la barrière et accéder aux locaux de la police d'immigration. Ensuite pour avoir son passeport estampillé. Enfin pour faire baisser la barrière et laisser votre voiture passer. Au bout du compte, il faut 3000 F Cfa en poche pour passer la frontière togolaise. Quand on souligne avoir déjà payé, la réponse tombe : "Nous sommes différents, et ici c'est chacun pour sa poche".

Les agents n'ont ni insigne ni badge, encore moins une quelconque immatriculation qui permette de les identifier. Ils ne prennent même pas la peine d'ouvrir les passeports pour les vérifier. "C'est 1000 francs ou vous dégagez les lieux", lance-t-on au voyageur dès la première barrière. Les deux agents en service dans les locaux de la police d'immigration, en cette matinée du lundi 8 avril 2002, ont même tourné le dos aux voyageurs qui arrivent, rejetant les passeports tendus dans leur direction. Pas la peine de leur parler d'"espace Cedeao". C'est la pire des idées à avoir. Car ce qui s'en suit ressemble à une crise d'hystérie. "La Cedeao, c'est quoi même ? On mange ça ? Ici, c'est nous qui travaillons. Nous sommes les chefs et c'est 1000 F pour faire tamponner un passeport", crie une dame en tenue kaki. Celui sur qui elle essuie sa colère est un Togolais remonté "contre ces tricheurs de policiers", et décidé à jouer au médiateur pour les étrangers interloqués par les pratiques corruptrices.

D'ailleurs, dégagez, j'ai mieux à faire!

A madame qui semble être le chef de brigade, ne demandez pas un reçu. "Allez vous plaindre où vous voulez. Dites qu'on a pris votre argent sans reçu. Ici, il n'y a pas de reçu. D'ailleurs, dégagez, j'ai mieux à faire", peste-t-elle. Déjà elle avait le dos tourné, cherchant de la monnaie pour le billet de 10 000 francs que lui avait tendu le voyageur suivant. L'amertume que dégage sa voix rauque peut se mesurer à la couche de crasse qui tapisse les murs du poste. Pour ce policier qu'on interpelle sur la question, "l'espace Cedeao, ce sont les dirigeants qui en décident dans des résidences climatisées. Mais c'est nous qui sommes au soleil pour travailler". Un journaliste mauritanien non détenteur de visa (la Mauritanie a quitté la Cedeao), laissera 25 000 F Cfa à la frontière, avec une injonction à quitter le pays dans un délai de six jours.

En quittant Accra, il ne s'agissait que de traverser le Togo de part en part pour aller au Bénin. Arrivé au poste de police de Hilla-Condji pour entrer en territoire béninois, le "tarif" exigé est de 5000 F Cfa pour l'enregistrement du véhicule. Mais là au moins, il suffit de crier qu'on est journaliste pour que les attitudes changent..


 

Aminatou M. Diop
Wal Fadjri, Dakar