Paris, 06 septembre 2002: Si le Togo a pu symboliser pendant
près de deux décennies un bon exemple de coopération
Nord-Sud, il n'a malheureusement pas su s'adapter aux mutations
de l'environnement international induites par la chute du mur de
Berlin et l'accélération de la mondialisation. Dans
une large mesure, le régime actuel s'est refusé à
épouser l'éthique nouvelle de la bonne gouvernance
politique et économique, de la promotion de l'état
de droit et du respect des droits humains.
Engoncé dans de fausses certitudes et affaibli par l'inertie
d'un système personnalisé, il s'est mis au ban de
la communauté internationale par des violations répétées
des droits de l'homme et des pratiques antidémocratiques
spectaculaires.
En témoigne l'attaque, le 3 décembre 1991, contre
la primature par un commando des forces armées ayant pour
objectif de mettre fin au gouvernement de la transition issu de
la conférence nationale, et qui fit de nombreuses victimes,
suscitant les premières sanctions de l'Union européenne
et surtout l'élection présidentielle contestée
de 1998, fortement appuyée par l'Europe aux plans technique
et financier et qui, malheureusement, était sortie de son
cadre légal.
Ainsi, de sanctions en sanctions, le Togo s'est enfermé
dans un cycle infernal de difficultés dont les effets délétères
sur l'économie, la politique et les populations ont atteint
un degré d'acuité jamais égalé dans
l'histoire du pays. Le Togo n'est aujourd'hui malheureusement que
l'ombre de lui-même.
Au plan politique et social, ces sanctions, dont le but est de
rationaliser l'exercice du pouvoir des dirigeants togolais et de
les amener à la résipiscence, ont eu pour effet de
tarir les flux des investissements des capitaux étrangers
tant bilatéraux que multilatéraux, privés et
publics.
Ainsi, de 31 millions de dollars en 1985, les investissements directs
étrangers sont passés à 19 millions en 1997,
soit une baisse de 30,38 % pour atteindre un seuil proche de zéro
à partir de 1999. Les apports bruts d'aide concessionnelle
en pourcentage du PIB sont passés de 4,1 % en 1985 à
2,1 % en 1996 pour remonter à 2,6 % en 1999.
Dans tous les cas, les investissements directs étrangers
comme les aides concessionnelles sont demeurés faibles au
cours de cette période, alors que le poids de la dette extérieure
n'a cessé de croître pour atteindre 109 % du PIB en
1999 et que le déficit des finances publiques est demeuré
préoccupant.
Or le flux des capitaux extérieurs constitue près
des trois quarts des capitaux qui s'investissent dans l'économie
togolaise et qui lui permettent de créer des richesses, d'où
la baisse du niveau de vie de près de 26 % et l'accroissement
de la pauvreté depuis dix ans.
A ce tableau, il convient d'ajouter la dégradation des conditions
socio-sanitaires et du système éducatif, l'accroissement
de la précarité générale qui contraint
la jeunesse à prendre le chemin de l'étranger à
la recherche d'une vie meilleure.
Au plan politique, ces sanctions ont contraint les autorités
togolaises à accepter l'organisation d'élections législatives
anticipées avec la participation de toutes les forces politiques
; et, dans le même ordre d'idée, le président
de la République a pris l'engagement de quitter le pouvoir
en 2003 conformément à la lettre et à l'esprit
de la Constitution du 14 octobre 1992. Ce compromis est scellé
dans un accord entre le pouvoir et l'opposition, dit " accord-cadre
de Lomé ", signé le 29 juillet 1999 et dont est
issu un Comité paritaire de suivi.
Malheureusement, le processus électoral conçu dans
l'esprit de cet accord s'est heurté aux manoeuvres dilatoires
du pouvoir en place qui a modifié le nouveau code électoral
de façon unilatérale, dissous la commission électorale
nationale indépendante paritaire, qu'il a remplacée
par un comité de sept magistrats. Ces décisions unilatérales
du pouvoir ont provoqué le retrait de l'UE et de l'ONU du
processus électoral.
En réduisant ainsi à néant les efforts déployés
trois ans durant par les facilitateurs de l'Union européenne,
de la francophonie, de la France et de l'Allemagne, le président
de la République a révélé au grand jour
ses desseins inavoués dont on devine qu'ils visent à
renouveler des élections antidémocratiques, à
modifier la Constitution actuelle pour se maintenir au pouvoir au-delà
de 2003, contrairement à l'engagement qu'il avait pris en
présence de Jacques Chirac
Aujourd'hui, il est évident que l'option choisie par le
président de la République est une violation caractérisée
de l'accord-cadre de Lomé, une trahison vis-à-vis
de la France et de la communauté internationale et risque
de faire perdurer la crise togolaise au-delà de la capacité
de tolérance des populations.
Complètement isolé et dépourvu de toute légitimité,
le pouvoir ne survit que grâce à son bras séculier
que constituent l'armée et les forces de sécurité.
Dans cette perspective, il devient impérieux que l'UE procède
à un réaménagement de ses sanctions. Face aux
coups de force répétés du régime, il
convient de trouver des formules qui épargnent les populations
plongées dans la désespérance pour ne sanctionner
que les auteurs des dérives autocratiques. Le Togo ne saurait,
par la volonté d'un seul homme dont la représentation
du pouvoir est aux antipodes des exigences du monde moderne, rester
en marge des changements qui façonnent l'unité des
nations modernes.
Au moment où le continent africain et notre sous-région
ouest-africaine sont en proie à de profondes convulsions
politiques, il importe de hisser la raison au sommet de l'Etat pour
conjurer les crises qui risquent de compromettre l'aspiration des
Togolais à la paix et à un développement durable.
Aujourd'hui, il faut faire triompher au Togo la voie de la sagesse
et de la morale politique, c'est-à-dire relancer le dialogue
politique en vue de déboucher sur des solutions qui favorisent
l'organisation consensuelle des consultations électorales.
C'est la seule voie de sortie raisonnable, susceptible de mettre
fin à cette crise qui a duré plus d'une décennie,
afin de mettre un terme à l'extrême précarité
dont les Togolais sont victimes.
Il revient à la communauté internationale, et plus
particulièrement à la France et à l'Europe,
face aux choix irrationnels et aux tours de force d'un régime
atypique, de faire preuve de plus de fermeté et de plus d'efficacité,
en vue de faire respecter au Togo la bonne gouvernance et l'état
de droit.
Par Agbéyomé KODJO
(Ancien Premier Ministre de la République togolaise)
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