Dahuku Péré (RPT): A quand donc la fin de la barbarie?
 

La présente lettre a été adressée par l'ancien président de l'Assemblée Nationale Togolaise aux membres du Comité central de son parti (RPT, parti au pouvoir). La rédaction TOGO Confidentiel pense que nos lecteurs devraient se faire leur propre opinion du contenu. Voici la version intégrale. Note de la rédaction.



Lomé, le 24 mars 2002

Monsieur le Président-Fondateur du RPT,
Monsieur le Secrétaire Général,
Chers collègues, membres du Comité Central,


Je vous remercie d'avoir bien voulu lire la présente déclaration. Cela fait quelque temps déjà qu'il me tient à cœur de la faire, étant donné les récents développements de la vie politique de notre nation.

Chacun le sait, depuis plus de dix ans, notre nation traverse une phase de son histoire pleine de difficultés et de dangers. Grâce à Dieu, le Président du Parti, chef de l'Etat, a su garder son calme dans les moments les plus critiques, ce qui nous a permis d'éviter de justesse la catastrophe. Mieux, Dieu nous a permis, nous militants et sympathisants du RPT, de nous réorganiser et de revenir aux affaires, alors même que l'opposition triomphante nous en avait pratiquement chassés et avait pris le contrôle du gouvernement de notre pays.

Chacun sait également qu'à l'époque, certains de nos cadres et de nos responsables, gagnés par le découragement, en observant l'agitation fébrile au sein du Parti et le triomphe croissant de l'opposition, parlaient volontiers et avec inquiétude d'"atmosphère de fin de règne." D'autres, par contre, sont demeurés confiants, faisant remarquer que l'agitation au sein du Parti n'était rien d'autre que la nouvelle vie s'organisant à la base pour rassembler de nouvelles énergies en vue de notre encrage sur la dynamique des mutations en cours dans le pays. Les faits leur donneront raison.

Effectivement, des groupes de réflexion se sont organisés presque spontanément, au niveau de toutes les instances du Parti, parmi les aînés comme parmi les plus jeunes, avec le soutien massif des militantes et des militants à travers le pays. Toutes les réflexions ainsi que les conclusions pertinentes qui en sont sorties ont été synthétisées par un bureau informel. Ce sursaut d'espoir a conduit, comme chacun le sait, à l'organisation du "congrès du renouveau" en novembre 1991. Celui-ci favorisera une critique honnête et objective des pratiques et des méthodes du Parti à la lumière des nouvelles aspirations de la Nation. Tous ensemble, les militants et les responsables convinrent en conséquence d'un nouveau contrat politique faisant une large place aux valeurs, méthodes et pratiques conformes à la nouvelle donne démocratique et d'Etat de droit qu'ils avaient résolument décidé d'accepter et d'assimiler. Ce sont là les bases des réformes qui avaient été projetées et qui avaient justifié que le congrès fût considéré comme un congrès du renouveau.

Puis le temps a passé, nous apportant de la part de Dieu faveurs sur faveurs. Le Parti s'est effectivement réorganisé en une immense équipe de battants. Nous avons remporté, grâce à Dieu, une première série d'élections puis une deuxième série. Malheureusement, nous n'avons pas tardé à trahir les espoirs du renouveau. En effet, au fur et à mesure que le RPT reprenait de l'assurance dans le contrôle des rouages du pouvoir, les anciennes ''habitudes'', pratiques et méthodes condamnées et rejetées lors du congrès du renouveau refaisaient surface, de façon insidieuse, donnant ainsi raison à ceux qui avaient redouté un retour trop hâtif de notre mouvance au pouvoir, avant d'avoir appris et assimilé les leçons de notre précédent désastre politique.

Aujourd'hui, en effet, l'intolérance et l'exclusion semblent avoir déserté les rangs de l'opposition pour s'incruster solidement dans les nôtres. Le pardon que nous prêchons ressemble davantage à une revendication de pardon pour nous-mêmes qu'à une disposition de notre parti à pardonner les erreurs des autres.

Naguère, c'était à nous militants et responsables du RPT que l'on refusait le droit de nous exprimer, de circuler librement dans le pays et de nous mobiliser. Aujourd'hui, nous prenons notre revanche et, profitant abusivement de notre position de force, nous refusons à nos adversaires le droit de s'exprimer, de circuler librement à travers le pays et de mobiliser leurs militants.
Naguère, c'était les responsables et militants du RPT qu'on traquait partout, qu'on molestait et même tuait. Aujourd'hui, c'est nous qui, profitant toujours de notre position de force, traquons l'adversaire et même ceux des nôtres qui osent être différents, molestons et même tuons.

A quand donc la fin de la barbarie? Voulons-nous continuer à maintenir le Togo dans un état de régression permanent où le RPT et l'opposition se succéderont au pouvoir et continueront à se venger et à traquer l'adversaire? Ou bien voulons-nous, comme nous l'avons promis lors de nos campagnes électorales, mettre définitivement un terme à ces cycles infernaux de barbarie, d'oppression et de déni systématique de droits, pour édifier à la place un Togo où régneront la sécurité et la paix, un Togo civilisé et prospère où chacun se sentira pleinement citoyen, respecté dans ses droits, dans sa liberté et dans sa dignité? Face à ces alternatives radicales, il ne peut plus y avoir ni tergiversation, ni atermoiements!

Ma conscience de chrétien, de citoyen de la République et de responsable impliqué à un haut niveau dans les structures de notre parti m'interpelle fortement en toutes ces interrogations et à bien d'autres égards. Et je pense que nous devons, individuellement comme collectivement, y répondre sans ambages et sans ambiguïté.

Sous cette optique, je pense pour ma part que nous devons soigneusement méditer le retour de notre parti aux affaires que, répétons-le, Dieu a bien voulu favoriser, pour en tirer des conclusions intelligentes, pertinentes et sages, susceptibles de nous inspirer des choix conformes aux exigences du moment et aux indications de l'histoire. C'est aujourd'hui, maintenant, qu'il faut se déterminer; c'est à notre parti le RPT, qui fut jadis le Parti de tous les Togolais, qu'il incombe en premier de donner l'exemple en construisant, pour les générations présentes et futures, une nation où toutes les ethnies et tous les courants politiques coexisteront, s'enrichiront mutuellement et coopéreront dans la paix et la concorde en acceptant leurs différences et en mettant celles-ci à contribution pour créer les richesses spirituelles, morales et matérielles dont dépendra un développement sans cesse croissant du pays.

Dans cette perspective, ce serait une erreur fatale de penser que ce sont les autres qui ont plus besoin de notre pardon que nous du leur. Nous démontrerions ainsi que nous avons très vite oublié la modestie, l'humilité et le repentir que nous avons eus lors du congrès du renouveau. Or, ce sont précisément ces valeurs positives qui ont rendu jadis possibles un pardon et une réconciliation sincères entre nous, lors du congrès du renouveau et, en fin de compte, ont conduit à une reprise vigoureuse de la vie au sein du Parti.

Ce sont ces mêmes valeurs que nous aurions dû cultiver assidûment pour nous-mêmes d'abord et pour les infuser ensuite à la vie de la Nation afin d'y étendre le pardon et la réconciliation tels que nous les avons expérimentés en ces temps-là. Mais malheureusement nous avons laissé très rapidement l'égoïsme, l'orgueil et la fierté mal placée rétablir leur suprématie dans nos cœurs, semant leurs ravages dans nos rangs, dans nos relations avec nos adversaires politiques, dans nos rapports avec le peuple ainsi que dans nos relations avec la communauté internationale, hypothéquant dangereusement l'avenir de la patrie.

Chers collègues du Comité Central, je voudrais maintenant m'interroger avec vous, en toute sincérité, sur ce que nous avons fait des deux mandats que nous avons sollicités et obtenus du peuple. Dans nos campagnes électorales, nous avons promis, pour l'essentiel, la réconciliation et le redressement de l'économie nationale. Mais dix ans après notre retour à l'exercice du pouvoir, force est de reconnaître que le pays reste toujours profondément divisé et mal réconcilié. Il suffit pour s'en convaincre, d'écouter ou de lire les déclarations que nous faisons ou faisons faire dans les médias d'Etat.

Force est aussi de reconnaître que notre économie est essoufflée et tend vers la paralysie totale. Par une gestion inappropriée de nos relations conflictuelles internes et avec l'extérieur, nous n'avons pas jusqu'à présent, su saisir les opportunités offertes en vue de sortir de la crise et de renouer avec la coopération internationale et, par ce biais, de relancer le développement du pays.

Que rien ni personne ne nous séduise d'aucune manière! Nous avons beau invectiver l'opposition pour sa gestion pendant la transition, c'est à nous que le peuple demande aujourd'hui et demandera demain compte des deux mandats qu'il nous accordés. C'est nous qu'il sera effectivement et exclusivement demandé compte des hommes, des femmes, des enfants qui meurent chaque jour comme des mouches, de faim, de maladies et du mal vivre. C'est à nous et à personne d'autre qu'il sera demandé compte de toute cette génération de jeunes sociaux privés d'éducation et d'instruction, des citoyens improductifs, totalement perdus pour leur famille, leur communauté et pour la nation.

Chers collègues du Comité Central, allons-nous continuer à subir cette situation comme si elle était la fatalité même? Et jusqu'à quand le pays supportera t-il ce supplice sans imploser? Le plus vexant, le comble de l'absurdité dans tout cela, c'est qu'il est devenu difficile, au sein même du Parti, de s'exprimer librement, de donner un avis sur le chemin à suivre que l'on pense meilleur, sans s'exposer à des menaces à peine voilées. Comment avons-nous pu en revenir là, après tout ce que nous avons souffert ensemble pour remettre le train du Parti sur les rails? Comment avons-nous pu en revenir à cette atmosphère négative de suspicion, d'intolérance, de délation et d'ambitions fratricides qui a fait le lit des nombreuses défections et trahisons dans le RPT au début des années 90 ainsi que de la crise socio-politique qui s'en est suivie? Comment peut-on penser aujourd'hui, après toutes les souffrances que les militants et sympathisants du Parti ont endurées ensemble, que l'on peut encore étouffer la réflexion, museler l'expression et paralyser l'initiative au sein d'un parti riche en intellectuels et cadres de toutes compétences et réduire ceux-ci à ânonner la pensée unique, morbide, insalubre et inféconde, au lieu de mettre énergiquement tous ces talents à contribution pour recréer la vie et le développement de la Nation?

Je veux penser que ce n'est vraiment pas cette direction périlleuse dont, par l'expérience, nous connaissons l'issue fatale, que nous avons l'intention de continuer à suivre, en nostalgiques impénitents de la pensée unique et de l'action solitaire. Il urge aujourd'hui que nous nous disions clairement les vérités. Car, les taire pourrait nous handicaper dans notre légitime désir de survie en tant que force politique et dans notre capacité à faire entrer, en cette même qualité, notre pays et notre peuple dans l'ère de la démocratie et de l'Etat de droit.

Parmi ces vérités cardinales qui décideront inéluctablement du sort des régimes politiques comme de celui des nations et des peuples dans l'ère de la mondialisation, il y ajustement celle qui nous apprend par les faits, que le leadership ancien est révolu, définitivement révolu, celui basé sur le principe selon lequel la tête réfléchit, seule dans sa tour d'ivoire, et donne ensuite les instructions qu'elle juge nécessaires aux membres qui exécutent sans discuter. A l'opposé de ce leadership anachronique et obsolète, un nouveau leadership est né et s'est imposé, celui basé sur le principe selon lequel tous les organes du corps traitent les informations de leur ressort et font remonter les résultats vers la tête qui les fait tous converger vers la construction de la solution optimale, génératrice de progrès.

Chers collègues membres du Comité Central, l'histoire nous met en demeure aujourd'hui et maintenant de choisir sans dérobade. Car, de deux choses, l'une: ou nous développons ce nouveau type de leadership et alors nous pourrons prétendre avoir légitimé les habiletés indispensables à faire entrer notre nation dans l'ère de la démocratie et de l'Etat de droit, caractéristique du village planétaire; ou nous nous refusons à ce changement vital et nous serons alors d'office disqualifiés, moralement et pratiquement, pour gérer dorénavant le pays et jeter les ponts nécessaires entre son passé et son futur. Ce choix incontournable, nous devons le faire ensemble, en notre qualité de militants et de responsables du Parti, disposés à servir la Nation.

En considération de tout ce qui précède, je pense sincèrement que nous devons avoir le courage de reconnaître que notre pays dépérit chaque jour, économiquement, socialement et politiquement. Nous devons regarder bien en face la marginalisation croissante dans laquelle la communauté internationale nous relègue par notre faute. Nous ne devons pas nous contenter de regarder tout cela passivement dans une indifférence feinte ou de faire des commentaires pertinents en privé pour ensuite noyer nos belles analyses dans les soupirs et les silences coupables. Aucune fatalité ne pèse sur nous. Seule notre démission comme citoyens de la République, comme militants, cadres et responsables du Parti, pèse sur nos mentalités et nous paralyse. Il faut que tout cela cesse, même au péril de notre vie. Nous sommes en réalité libres de réfléchir, à condition de prendre cette liberté. Nous pouvons nous parler ouvertement, en privé comme en public, et nous dire la vérité sur ce que nous faisons ou devrions faire et manquons de faire. Nous pouvons montrer un peu de dignité et oser offrir à notre peuple davantage de possibilités pour son épanouissement.

Chers collègues membres du Comité Central, je pense qu'il est encore temps de revenir à nos engagements courageusement pris lors du congrès du renouveau pour arrêter cette descente aux enfers et recréer la vie et le progrès au sein du Parti et dans la Nation. Telle est la finalité de cette déclaration que je me fais le devoir de vous adresser aujourd'hui. Au cas où cette invitation à la réflexion en vue des changements salutaires, recevrait votre adhésion, je voudrais proposer que notre instance soit convoquée, à votre convenance, tenant dûment compte de l'urgence de la situation, en une session de deux ou trois jours pour débattre en toute liberté et sincérité des problèmes majeurs de notre Parti qui causent tant de préjudices au pays et hypothèquent irrémédiablement l'avenir politique de notre mouvance. A l'issue de ces jours seront dégagées des propositions concrètes et pertinentes. Nous verrons alors ensemble ce que nous pourrons en faire pour sortir la Nation de son blocage politique et de sa paralysie économique actuels.

Allant au bout de ma logique et tenant dûment compte des pesanteurs actuelles, je suggère, pour conforter par vos réponses les hautes instances dirigeantes du Comité, notamment le Président Fondateur et le Secrétaire Général, dans l'exercice de leurs prérogatives et obligations statutaires relatives à la convocation des réunions du Comité Central, (Cf. Art.24 des statuts), que vous complétiez la compétition ci-jointe à faire parvenir au Secrétariat Général du RPT avec copie à mon adresse.

Je vous remercie de votre aimable attention et de votre militantisme persévérant.

Lomé, le 24 mars 2002
Dahuku Péré
Membre du Bureau Politique du RPT
Député à l'Assemblée Nationale


 




     
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