Lomé / Paris, 17
septembre 2002: Dans une interview accordée au journaliste
Carine FRANCK le 3 septembre dernier, l'ancien premier ministre togolais
Gabriel Messan Agbéyomé KODJO, lève davantage
le voile sur les tenants et les aboutissants du mal togolais.
Rappelons que l'ancien premier ministre togolais limogé le
27 juin 2002 par le général Eyadema GNASSINGBE, à
quelques heures de sa démission annoncée, a longtemps
fait figure de dauphin du Chef de l'Etat togolais.
Selon des informations publiées par l'Intersyndicale des
journalistes de RFI, les autorités françaises ont
- de toute évidence sur pressions des autorités togolaises
- tenté sans succès d'interdire la diffusion de cette
interview. A Lomé, la capitale togolaise, et Kara, la ville
natale du général EYADEMA, les fréquences FM
de RFI ont souffert de brouillages électroniques aux heures
de diffusion de cette interview. Les autorités togolaises
n'ont donné aucune explication quant aux raisons de ces perturbations
subites des émissions de RFI au Togo.
Voici l'intégralité de cette interview à laquelle
les Togolais n'ont pas eu droit.
Direction le Togo. Il y a trois mois Agbéyomé KODJO
était démis de ses fonctions. Aujourd'hui réfugié
en France, l'ancien Premier Ministre parle des dessous du régime
EYADEMA. Agbéyomé KODJO avec Carine FRANCK:
Carine FRANCK (RFI): Agbéyomé KODJO,
bonjour!
Messan Agbéyomé KODJO: Oui, bonjour!
RFI: Après votre démission le 27 juin
dernier, vous avez fui votre pays le Togo, vous vous cachez, d'ailleurs.
Que redoutez-vous au juste?
Messan Agbéyomé KODJO: Ma sécurité
est en danger. Je suis poursuivi par EYADEMA et sa police politique.
Et donc, même ici, un accident peut être vite arrivé.
RFI: Pendant ce temps, au Togo les préparatifs
des élections législatives anticipées se poursuivent,
des élections qui seront boycottées en toute vraisemblance
par les principaux partis d'opposition. Est-ce que vous comprenez
la position de ces partis?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Je considère
que la position de l'opposition est raisonnable. On ne peut pas
participer à une mascarade électorale. Le Code Electoral
a été modifié de façon unilatérale,
la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante, ndlr),
qui comprend également les représentants de l'opposition,
a été dissoute et remplacée par un comité
de sept juges, et l'indépendance de ces juges n'est pas assurée.
RFI: Mais c'est vous, Premier ministre de l'époque,
qui avez soumis ce nouveau code électoral à l'Assemblée
nationale
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: C'est un ordre du chef
de l'État, que j'ai exécuté. C'est le Président
EYADEMA qui incarne le pouvoir. Le pouvoir cherche son maintien,
au-delà de 2003. Le Président craint que si l'opposition
participait aux élections, il perdrait. Je pense que si le
Président EYADEMA veut réellement quitter le pouvoir
en 2003, comme l'indique la Constitution, et comme il l'a promis,
au Président CHIRAC et à la Communauté internationale,
on ferait une croix sur ces élections législatives
anticipées aujourd'hui. Et faire en sorte également
que des personnalités comme Gilchrist OLYMPIO puissent également
être au rendez-vous des élections de 2003.
RFI: Votre fuite, vos révélations, vous
les présentez comme le résultat d'une prise de conscience
personnelle, avec ce message donc, comme clé cde voûte
de vos réflexions, il faut que le général EYADEMA
quitte le pouvoir?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Oui, je pense que la
solution aux problèmes que rencontrent les Togolais aujourd'hui,
passe par le départ du Président EYADEMA, et pour
dire les choses plus directement tout part d'EYADEMA et revient
à EYADEMA. Le Président de la République, il
assure à la fois, le contrôle du pouvoir exécutif,
du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Au niveau
économique, je le vois faire. Donc comment, on prend à
la source, sur les recettes des douanes, sur les recettes des impôts,
comment les privatisations qui ont été opérées
dans le pays, comment l'argent n'est pas rentré en totalité
au Trésor public. Il y a tellement d'exemples
RFI: On vous accuse, vous aussi d'avoir profité
de cette corruption, notamment quand vous étiez directeur
du Port de Lomé.
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Oui, j'ai été
accusé, donc d'avoir détourné 34 milliards
de francs. Mais la banque a publié donc un démenti
RFI: Mais vous vous êtes enrichi au pouvoir,
pendant toutes ces années
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: J'ai gagné légalement
ce que ma place et mes fonctions méritaient.
RFI: On dit que vous êtes milliardaire aujourd'hui.
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Ça c'est faux,
je suis en accord et en harmonie totale avec ma conscience.
RFI: Vous parlez aujourd'hui, du peuple togolais martyrisé.
Qu'entendez-vous par là?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Lorsqu'un peuple perd
sa liberté, lorsque la moindre manifestation de rue est réprimée,
il y a des violations des droits de l'Homme au Togo, le système
au Togo est un système militaire avec un ravalent civil,
la violation des droits de l'Homme au Togo, c'est l'uvre des
forces de sécurité.
RFI: En tant que Ministre de l'intérieur, en
tant que Premier ministre, qu'avez-vous fait, à titre personnel,
contre ces violations des droits de l'homme?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: J'ai fait beaucoup,
mais je ramais à contre-courant! Je n'ai aucune responsabilité
dans la violation des droits de l'Homme au Togo. S'il y a quelque
chose aujourd'hui donc sur la conscience, c'est le fait que Me AGBOYIBOR
ait passé plus de sept mois en prison. Pourquoi? Parce qu'en
fait, EYADEMA s'est servi de moi pour le mettre en prison et pour
le rendre inéligible.
RFI: Quelle crédibilité donner à
vos propos, quand on sait que c'est vous en personne, qui êtes
venu à Genève, c'était en avril dernier, défendre
le régime EYADEMA devant la Commission des droits de l'Homme
des Nations Unies, pour dire que tout allait bien au Togo?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Non, je pense que l'élément
fondamental de ma défense, à Genève, c'est
autour des centaines de morts qu'on aurait trouvés avant,
pendant et après les élections présidentielles
de juin 1998. Là-dessus, je suis formel. Il peut y avoir
quelques morts, mais il n'y a pas eu des centaines de morts.
RFI: Vous dénoncez donc ces séries d'exactions
au Togo. Mais, vous avez participé à ce système
EYADEMA, vous en étiez le Premier ministre! Donc, il y a
eu une complicité?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Je ne peux pas dire
que j'ai été complice d'un système. J'ai servi
mon pays, à divers postes de responsabilité, mais
je dis à un moment donné, les dérives sont
telles que j'ai décidé donc de me retirer, et de ne
plus apporter ma caution
RFI: Mais vous avez mis du temps à prendre conscience
de tout ça. Il y a des opposants qui le font depuis longtemps.
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Mais, je dis: il n'est
jamais trop tard pour bien faire. C'est une décision difficile
que j'ai eu à prendre. Très difficile.
RFI: Est-ce que vous avez envie de demander pardon
à ce peuple togolais?
MESSAN AGBÉYOMÉ KODJO: Le peuple sait que
j'ai opéré mon mea-culpa, je n'en pouvais plus.
RFI: Agbéyomé KODJO, merci!
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