Lomé,
le 03 avril 2003
Dans la vérité bâtissons la paix !
MESSAGE DES EVEQUES DU TOGO
A L'ATTENTION DES FIDELES CATHOLIQUES
ET DE TOUS NOS COMPATRIOTES, TOGOLAIS, HOMMES
ET FEMMES DE BONNE VOLONTE
"Que le Dieu de la paix soit avec vous tous!" (ROM, 5,33)
0.1 Quelques mois avant les dernières élections
législatives, en vertu de notre charge pastorale, nous rappelions,
entre autres, l'impérieuse nécessité que soient
créées les conditions d'un vrai choix, et donc d'élections
effectivement libres et transparentes. " Une de ces conditions,
disions-nous, est la mise sur pied d'une institution constitutionnelle
en charge de l'organisation des opérations électorales
et dont l'autonomie, la neutralité et l'objectivité
ne souffrent d'aucune ambiguïté " (Message
de la Conférence des Evêques du Togo du 18.06.2002,
No.9.
0.2 En effet, des opérations électorales réalisées
dans des conditions de transparence maximale sont toujours, et surtout
dans le contexte général que nous vivons actuellement
dans notre pays, la condition pour que nous nous engagions ensemble
sur la route de la paix.
0.3 Le souci de contribuer à l'avènement et
à la concrétisation de ce don de Dieu qu'est la paix
nous pousse à prendre de nouveau la parole et à nous
adresser à vous, chers fils et filles dans la foi, et à
vous tous, hommes et femmes de bonne volonté, qui aspirez
légitimement à une paix véritable et profonde
et la voulez résolument pour le Togo, notre chère
patrie.
1- Les piliers de la paix
1.1 Cette paix, qui est un don précieux de Dieu,
nous soupirons après elle au Togo, depuis de nombreuses années.
Mais, comme l'a bien précisé, il y a 41 ans, le Bienheureux
Pape Jean XXIII, " la paix sur la terre, objet du profond
désir de l'humanité de tous les temps, ne peut se
fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi
par Dieu " (Lettre Encyclique " La paix sur la terre
", 1963, N°1)
1.2 Le Pape ajoutait dans ce document que la réalisation
d'une paix durable était fondée sur les quatre exigences
précises de l 'esprit humain : la vérité, la
justice, l'amour et la liberté. Ce passage fondamental mérite
d'être cité intégralement : " La VERITE,
disait-il, constituera le fondement de la paix si tout homme prend
conscience avec honnêteté que, en plus de ses droits,
il a aussi des devoirs envers autrui. La JUSTICE édifiera
la paix si chacun respecte concrètement les droits d'autrui
et s'efforce d'accomplir pleinement ses devoirs envers les autres.
L'AMOUR sera ferment de paix si les personnes considèrent
les besoins des autres comme les leurs propres et partagent avec
les autres ce qu'elles possèdent, à commencer par
les valeurs de l'esprit. Enfin, la LIBERTE nourrira la paix
et lui fera porter du fruit si, dans le choix des moyens pris pour
y parvenir, les individus suivent la raison et assument avec courage
la responsabilité de leurs actes " (cf. N°37).
1.3 La nécessité de ces quatre conditions
est évidente pour tout citoyen soucieux du bien commun, même
s'il s'agit d'un idéal dont la réalisation requiert
à la fois notre bonne volonté et la force déterminante
qui vient d'En-haut.
1.4 Pouvons-nous dire vraiment que ce souci du bien commun
existe chez nos compatriotes engagés dans la politique et
surtout chez ceux qui actuellement exercent les responsabilités
du gouvernement dans notre pays ?
1.5 Le Pape Jean-Paul II insistait récemment avec
vigueur sur cette exigence : " Tant que ceux qui occupent des
responsabilités n'accepteront pas de remettre courageusement
en question leur manière de gérer le pouvoir et d'assurer
le bien-être de leur peuple, il sera difficile d'imaginer
que l'on puisse vraiment progresser vers la paix " (Message
pour la Journée Mondiale de la Paix,1er janvier 2003, N°7,
§ 2).
2- Difficultés sur le chemin de
la paix
2.1 Dans notre pays, des gestes graves ont été
posés qui nous éloignent de la paix
Notre appel
du 18 juin 2002 concernant l'adoption de mesures consensuelles pour
les élections n'a pas été entendu. Ainsi:
- des élections législatives anticipées
ont été organisées unilatéralement le
27 octobre 2002, et, loin de constituer une solution, elles ont
davantage exacerbé la crise politique ; et la reprise tant
escomptée de la Coopération avec l'Union Européenne
n'a pas suivi ;
- la Constitution de la IVe République adoptée
par Référendum le 27 septembre 1992 et promulguée
le 14 octobre 1992 a été profondément modifiée
par l'Assemblée issue de ces élections. Cette modification
a eu pour effet, entre autres, de donner désormais la possibilité
au Président de la République de briguer d'autres
mandats, de façon indéterminée, alors qu'initialement,
l'article 59 disposait sagement ce qui suit : " Le Président
de la République est élu au suffrage universel direct
pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. En aucun
cas, nul ne peut exercer plus de deux mandants " ;
· la modification trilatérale du Code électoral
enlève toute son indépendance et donc toute crédibilité
à la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante).
2.2 L'on ne peut honnêtement pas affirmer que ces
dispositions aient renforcé notre cohésion nationale.
Bien au contraire, l'impression générale qui prévaut
est à l'inquiétude, et, dans notre pays, la paix et
la sécurité se trouvent menacées !
- Nous évoluons dans une atmosphère de mensonge,
de suspicion, de délation et de méfiance
.
- Dans toutes les franges de notre population, sont perceptibles
des sentiments de lassitude, de découragement, de désarroi
devant les incertitudes de notre avenir immédiat.
- Des gens qui, jusque-là, avaient toujours eu un langage
modéré et pondéré, pensent et disent
malheureusement la violence.
- Il n'est donc pas possible que la situation évolue de la
sorte sans aucune prise de conscience salutaire de la part de ceux
qui ont en charge les destinées de la Nation.
3- Vers l'édification de la Nation
3.1 Une analyse objective de cette réalité
ambiante conduit à la réflexion suivante sur deux
points bien précis.
3.2 Les règles du jeu ont été sciemment
modifiées au profit d'une partie qui, tout à son aise,
a changé profondément la loi fondamentale élaborée
et acceptée par tout un peuple
. N'est-il pas bon et
salutaire de mettre en application la loi fondamentale pour en saisir
les progrès et les limites plutôt que de la modifier
a priori à la convenance et au profit d'un seul parti ? L'histoire
de nos quatre Républiques doit nous instruire en ce domaine.
La Constitution d'un pays, c'est une parole solennellement donnée
: il faut la respecter. Ce n'est qu'à l'épreuve de
l'application que l'on pourrait, dans un climat consensuel, décider
des aménagements susceptibles d'améliorer les conditions
de la vie commune.
3.3 Le second point de notre réflexion concerne l'alternance
au pouvoir. Celle-ci est une des caractéristiques essentielles
d'un régime démocratique. A travers des élections
libres et transparentes, le peuple confie à ses représentants
un mandat limité dans le temps. En effet, les problèmes
liés à la construction d'une Nation sont d'une extrême
complexité et jamais les solutions ne sont toutes données.
Tous les citoyens de notre pays ont le Devoir d'apporter à
la réalisation de cette tâche immense les ressources
de leurs qualités morales, de leurs compétences intellectuelles
et d'un amour vrai de la patrie. Aussi est-il tout à fait
normal qu'à l'échéance des mandats, le peuple
puisse choisir librement et en connaissance de cause les acteurs
de la vie politique qui proposent d'autres voies par d'autres projets
de société.
4- La vérité nous rendra
libres
4.1 Nous vivons au Togo une crise politique grave parce
que, par peur ou par intérêt, les uns et les autres
refusent de dire la vérité qui rend libres (cf. Jean
8,32). Que d'exemples de contre-vérités froidement
et sciemment proférées en dépit de tout bon
sens et de toute évidence ! Que d'exemples de gymnastiques
intellectuelles acrobatiques et de démonstrations incroyables
!
4.2 Or, il existe un lien indissociable entre l'engagement
pour la paix et le respect de la vérité. L'insécurité
psychologique largement répandue dans notre pays vient en
droite ligne de l'absence de la vérité, car seules
" l'honnêteté de l'information, l'équité
des systèmes juridiques, la transparence des procédures
démocratiques, donnent aux citoyens le sens de la sécurité,
la disposition à dépasser les controverses par des
moyens pacifiques et la volonté d'une entente loyale et constructive
qui constituent les vraies prémices d'une paix durable "
(Jean-Paul II Message pour la Journée Mondiale de la Paix,
1er janvier 2003, N°8, § 1).
4.3 Notre pays va mal. L'on remarque, nous l'avons déjà
dit en juin 2002, une aggravation de la pauvreté et de la
précarité des conditions de vie
.
5- Convertissons-nous !
5.1 Nous en appelons donc encore une fois à une véritable
conversion. Osons nous mettre en toute lucidité face au Créateur
de tout Bien. Osons rentrer en nous-mêmes, dans le sanctuaire
de notre conscience. Noue ne pouvons continuer indéfiniment
à nous mentir à nous-mêmes et aux autres. Regardons
la vérité en face pour OSER LA VERITE. La vérité
nous rendra libres ! Osons donc la Vérité dans ce
pays, et nous serons libres !
5.2 Cette nécessaire conversion à la vérité
exige de nous une vision claire de la bonne gestion du bien commun,
qui est l'essence même de la vie politique. Aussi osons-nous
demander que tous, nous acceptions que les choses puissent se passer
normalement dans le pays !
5.3 Il est impérieux qu'aucune partie ne s'arroge
intempestivement et avec force le monopole de la politique pour
induire, voire imposer un agir politique univoque et unidimensionnel
à la communauté nationale. Oui, il est impérieux
que la justice devienne une justice impartiale et responsable
5.4 Les conditions sont-elles vraiment créées
pour que des élections nous engagent sur le chemin d'une
paix véritable ?
6- Invitation à la prière
6.1 Nous lançons un vibrant appel aux RESPONSABLES
POLITIQUES, de quelque bord qu'ils soient, pour qu'ils se mettent
de nouveau ensemble pour statuer sur les mesures qui nous conduisent
à la vraie paix.
6.2 Ils détiennent la lourde responsabilité
d'agir pour garantir la paix, pour eux-mêmes, leurs familles,
toutes les familles togolaises, toute la Nation togolaise.
6.3 Qu'ils sachent donc transcender leurs divergences, leurs
intérêts égoïstes, leurs ambitions personnelles,
la soif inextinguible de conquérir à tout prix le
pouvoir par des moyens déloyaux (mensonges, calomnies, dénigrements,
intimidations, corruptions, etc
) pour privilégier
l'intérêt supérieur de la Nation, le bien commun,
c'est à dire le souci du bien-être de tous les Togolais
et Togolaises et de la prospérité du pays.
6.4 Nous lançons le même appel à chaque
chrétien (homme et femme, jeune et adulte) pour que chacun
se sente responsable de l'avènement et de la permanence de
cette paix à laquelle tout notre pays aspire tant.
6.5 Nous nous devons de rendre une juste et généreuse
action de grâces au Dieu de toute bienveillance et amour pour
la constante protection dont Il nous couvre tous. Convaincus qu'
"il est béni, celui qui met sa confiance dans le Seigneur,
celui dont le Seigneur est l'espérance "(Jér.
17, 7), nous invitons une fois encore nos Communautés chrétiennes
à intensifier la prière pour la Nation. Aussi, en
plus de la prière quotidienne pour la Paix, nous prescrivons
une série de trois TRIDUUMS comme suit au cours des prochains
mois d'avril, mai et juin 2003.
JEUDI 3 AVRIL 2003 8 MAI 2003 5 JUIN 2003
Adoration du Très Saint, Sacrement exposé toute la
journée dans toutes nos églises et chapelles
VENDREDI 4 AVRIL 2003 9 MAI 2003 6 JUIN 2003
Jeûne et Chemin de la Croix dans toutes nos églises
et chapelles
SAMEDI 5 AVRIL 2003 10 MAI 2003 7 JUIN 2003
Rosaire dans les églises, les chapelles et dans les familles
6.6 La mobilisation morale et spirituelle à laquelle
nous vous convions tous et chacun est destinée à obtenir
de Dieu la paix dans notre pays, dans la sous-région ouest-africaine,
en Afrique et dans le monde entier.
7- Oeuvrons pour la Paix
7.1 Encore une fois, la paix est une richesse incommensurable
qui nous vient de Dieu. Dans la Bible, le mot "PAIX" est
cité 331 fois: 235 fois dans l'Ancien Testament, 96 fois
dans le Nouveau Testament. La paix est un trésor inestimable.
Ne la détruisons surtout pas par notre égoïsme
à courte vue et un entêtement obtus, source de mort.
Oeuvrons plutôt ensemble à la construire, à
la consolider, à la renforcer!
7.2 "HEUREUX LES ARTISANS DE PAIX, CAR ILS SERONT APPELÉS
FILS DE DIEU" (Matthieu 5: 9).
Fait à Lomé, le 19 mars 2003
En la Solennité de Saint Joseph, Patron de l'Église
Universelle,
Les Évêques du Togo
Mgr. Philippe Fanoko KPODZRO,
Archevêque de Lomé, Président de la CET (Lomé)
Mgr Jacques ANYILUNDA,
Vice-Président de la CET (Archevêque de Dapaong)
Mgr Ambroise DJOLIBA (Archevêque de Sokodé)
Mgr Julien KOUTO (Archevêque d'Atakpamé)
Mgr Paul Jean-Marie DOSSAVI (Archev. d'Aného)
Mgr TALKENA (Archevêque de Kara)
Mgr Bénoît ALOWONOU (Archevêque de Kpalimé)
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