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Paris, 29
janvier 2003: " Je n'ai jamais voulu du pouvoir. Le destin
m'a forcé la main. Quand j'ai voulu quitter le pouvoir en 1971,
les vieilles femmes se sont constituées en barricades humaines
sur les voies ferrées pour me contraindre, en arrêtant
les trains, à revenir sur ma décision. En 2003, à
la fin de mon mandat, j'irai me reposer au village. Non seulement
la Constitution ne sera pas révisée, mais mieux, je
la respecterai: on ne fait pas une loi à la taille d'un homme.
Parole de soldat! "
Ainsi parlait à la presse le général Gnassingbé
Eyadéma, en juillet 1999, devant Jacques Chirac, président
de la République française en "visite de travail"
à Lomé. J'en étais témoin. Aujourd'hui,
M. Eyadéma rêve-t-il du pouvoir à vie? Toujours
est-il qu'à sa demande expresse, la Constitution a été
modifiée, au mépris des attentes des populations et
au grand dam de l'opinion internationale. Le monde entier connaît
pourtant les "succès" qu'il a obtenus pour
son pays en 36 ans de règne: accélération du
sous-développement, libertés fondamentales individuelles
et collectives bafouées, inexistence de la démocratie
et de l'Etat de droit ... Ces modifications ont aussi pour objectif
d'empêcher les concurrents les plus sérieux de solliciter
les suffrages du peuple togolais. C'est exactement ce qu'a fait en
2000 le triste trio Bédié-Gbagbo-Gueï en Côte
d'Ivoire pour barrer la route potentiellement victorieuse de Ouattara
... On connaît la suite.
Le continent africain est un continent de tradition orale et le
Togo ne fait pas exception à cette culture ancestrale. Dans
les pays du Nord, pays d'écriture, et en France en particulier,
la fascination qu'exerce "la vérité"
de l'écrit a tué la parole tout comme le culte de
la jeunesse, de la performance et de la vitesse tue les "vieux".
Si en Afrique, les "vieux" sont tant sollicités
pour leur expérience, c'est que dans ces civilisations orales,
le savoir n'est pas seulement écrit, intellectuel, scolaire,
universitaire; parce que la tradition orale a acquis ici le poids
et la rigueur des écrits les plus sacrés, le savoir
se confond chez nous avec l'expérience et avec la sagesse.
Dans ce pays où, pendant des millénaires, seuls les
sages eurent le droit de parler, la parole est devenue sacrée.
On dit en Afrique que "la parole est un fruit dont la peau
s'appelle "bavardage", la chair "éloquence"
et le noyau "bon sens"". Parce qu'elle est sacrée,
la parole est écoutée et respectée; la parole
donnée vaut serment. C'est pour cette raison que seuls ceux
qui ont le droit de parler, les sages, sont dignes de : transmettre
la mémoire collective du clan, de la tribu, de l'ethnie;
procéder à l'initiation des plus jeunes dans la connaissance
des secrets de la vie; décrypter les mystères de la
vie : la naissance, la maladie, la mort, les songes; assurer l'intermédiation
entre les vivants et les morts, entre le visible et l'invisible;
devenir les "passeurs", pour les générations
suivantes, de la dimension réelle de l'avenir ; être
les dépositaires du trésor de l'harmonie entre l'homme
et son environnement.
C'est ici qu'on sent le poids et l'importance attribués
par les Africains à la parole, surtout celle des aînés:
dans la mesure où l'Afrique noire a été dépourvue
d'un système d'écriture pratique, elle a entretenu
le culte de la parole. Transgresser la parole donnée est
un crime, parce que c'est bafouer les ancêtres, c'est-à-dire
toute la lignée de ceux qui l'ont transmise depuis des siècles
sans en perdre un mot, de génération en génération,
jusqu'à nous; c'est trahir la culture de l'authenticité.
Ce serait la première fois qu'un chef, non seulement gardien
de la Constitution, mais surtout garant d'une tradition multiséculaire,
rendant la justice à ses concitoyens par sa seule parole,
comme nos ancêtres, trahirait à ce point ce qui est
l'essence même des civilisations africaines.
Voilà pourquoi tous les Africains en général,
et tous les Togolais en particulier, ont le devoir sacré
de s'opposer avec la plus grande fermeté à cette tentative
de viol de notre identité. Le président Eyadéma
doit revenir sur ses projets : rétablir l'accord cadre de
Lomé laborieusement obtenu avec l'aide des étrangers
et accepté par tous les partis politiques en présence;
abroger sa nouvelle loi électorale ainsi que les modifications
apportées à la Constitution approuvée par le
peuple togolais en 1992, par une assemblée non représentative.
C'est la seule solution pour éviter la déstabilisation
du Togo. J'en appelle au président Chirac: il peut contribuer,
par son influence, à persuader M. Eyadéma du bien-fondé
du respect de la loi et de la parole donnée. Il est encore
temps aujourd'hui pour que demain il ne dise pas, comme pour la
Côte d'Ivoire: "Je ne savais pas."
Kofi YAMGNANE
Ancien secrétaire d'Etat
dans le gouvernement de François MITTERAND
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Le Figaro,
Kofi YAMGNANE
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Ainsi parlait à
la presse le général Gnassingbé Eyadéma,
en juillet 1999, devant Jacques Chirac, président de
la République française en "visite de travail"
à Lomé. J'en étais témoin. |
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J'en
appelle au président Chirac: il peut contribuer, par
son influence, à persuader M. Eyadéma du bien-fondé
du respect de la loi et de la parole donnée. Il est encore
temps aujourd'hui pour que demain il ne dise pas, comme pour
la Côte d'Ivoire: "Je ne savais pas.". |
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