Des rapporteurs spéciaux et experts indépendants expriment leur révolte
 

Genève, 25 avril 2002: Les experts de l'Organisation des Nations Unies et les ONG qui, sur le terrain, constatent jour après jour les violations des droits humains, ont vivement critiqué le déroulement de la Commission des droits de l'homme (CDH), qui, cette année, a réduit leur rôle face à des Etats coalisés pour éviter d'être mis à l'index. ONG et représentants spéciaux de la CDH ont évoqué une "situation de crise", un "affaiblisement" de la Commission résultant de sa composition, avec de plus en plus de gouvernements qui ne sont pas, loin s'en faut, réputés pour le respect des droits de l'homme.

Fait sans précédent, la révolte des rapporteurs spéciaux, des experts indépendants non rémunérés, s'est exprimée publiquement. Alors qu'ils ont, au cours de l'année écoulée, effectué plusieurs missions dans divers pays, ils ne se sont vu accorder que cinq minutes en séance pour relater les faits et tirer leurs conclusions de plusieurs mois d'enquêtes. Dix d'entre eux sont venus expliquer à la presse qu'ils y voyaient "une injustice" et une "érosion de leur mandat", espérant que ce précédent ne se reproduirait pas.
Théo van Boven, rapporteur sur la torture, a rappelé que les rapporteurs spéciaux avaient été créés en 1980, pour sortir les travaux de la CDH de la confidentialité, "pour que les gouvernements rendent des comptes" et pour améliorer la sauvegarde des victimes. "Ces rapporteurs sont devenus sans doute l'outil le plus efficace de la CDH. Il est tragique que cet outil soit rendu inutilisable", a-t-il dit.

La raison officielle des restrictions aux temps de parole est budgétaire. Derrière ces raisons "bureaucratiques", selon certains, se profilent des raisons plus "politiques" destinées à "limer davantage des droits exposés à bien des risques". Une cinquantaine d'ONG - plus de 250 sont accréditées auprès de la CDH - ont également déploré de ne pouvoir s'exprimer comme elles le souhaitaient, d'autant que, face à elles, plusieurs Etats sur les 53 membres de la Commission ont fait front pour échapper aux condamnations nominales.
Les 15 membres africains, une dizaine de pays asiatiques et musulmans, ainsi que la Chine, Cuba et la Russie ont ainsi voté à l'unisson pour faire échouer des résolutions sur la Russie en Tchétchénie, l'Iran, le Zimbabwe et la Guinée équatoriale. Joanna Weschler, de l'ONG Human Rights Watch, a regretté cette "attaque frontale" contre ce mécanisme de stigmatisation dont l'objectif est de "jeter l'opprobre sur les violateurs des droits humains".
Le représentant spécial Gustavo Gallon, pour la Guinée équatoriale, a fait la cruelle expérience d'un vote mettant fin à son mandat, lui qui avait été le témoin direct de détentions arbitraires.

Amnesty International s'est ému du fait que la Commission "ferme les yeux" sur les "violations massives commises en toute impunité par les forces russes contre les civils tchétchènes". L'organisation a regretté que la CDH ait succombé aux pressions de l'Indonésie, qui a échappé une fois de plus à toute sanction. Elle a demandé des "éclaircissements" concernant les violations des droits de l'homme au Togo, lui aussi passé à travers les mailles du filet à l'issue d'un vote à huis clos. Ont été formellement condamnés Israël, l'Irak, le Soudan et la Birmanie.
D'autres ont été "encouragés" à mieux faire, comme Cuba, la République démocratique du Congo, le Burundi et l'Afghanistan. La résolution, au ton pourtant modéré contre Cuba, présentée par l'Uruguay, a conduit à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, signe de l'importance que les Etats accordent aux votes de la Commission. Malgré leurs critiques, ONG et experts continuent à croire qu'elle peut jouer un rôle constructif.



 

AFP et Reuters